Une Libération Bienvenue, un Procédé Révélateur
Après 361 jours d’emprisonnement, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été gracié le 12 novembre 2025 par le président Abdelmadjid Tebboune. Une nouvelle qui soulage l’ensemble de la communauté intellectuelle et des défenseurs des droits humains. Boualem Sansal, 81 ans et atteint d’un cancer, retrouve enfin sa liberté. C’est une victoire indéniable pour la liberté d’expression, un combat qui dépasse les frontières et les divergences idéologiques.
Mais au-delà de cette joie légitime, les modalités de cette libération soulèvent des questions fondamentales sur l’état de la justice en Algérie.
Un Coup de Fil pour Court-Circuiter Toute une Justice
C’est une demande du président fédéral allemand, Frank-Walter Steinmeier, qui a permis cette grâce, là où douze mois de mobilisation internationale n’avaient rien changé. Qu’il ait suffi d’une intervention présidentielle étrangère pour libérer un homme condamné à cinq ans de prison révèle une vérité glaçante : en Algérie, la justice n’existe que comme instrument au service du pouvoir politique.
Pensons-y un instant. Un homme est arrêté, jugé, condamné par des tribunaux censés représenter l’autorité judiciaire d’un État. Des mois durant, les procédures suivent leur cours, les avocats plaident, les audiences se succèdent. Et puis, un jour, un appel téléphonique entre deux chefs d’État suffit à annuler tout ce processus judiciaire. Comme si les juges, les procureurs, les lois n’avaient été que de simples figurants dans une mise en scène.
Quand la Grâce Présidentielle Devient l’Aveu d’une Justice Corrompue
Le droit de grâce présidentielle existe dans de nombreux pays démocratiques. Mais il est généralement utilisé de manière exceptionnelle, après que la justice ait suivi son cours de façon indépendante. Dans le cas de Sansal, ce droit révèle tout autre chose : l’absence totale d’indépendance du pouvoir judiciaire.
Si un simple appel diplomatique peut libérer un prisonnier politique, cela signifie que la condamnation elle-même était politique. Les accusations d’« atteinte à l’unité nationale » n’étaient qu’un prétexte juridique pour museler une voix dissidente. Le président Tebboune, en accordant cette grâce sur demande étrangère, admet implicitement que la détention de Sansal n’avait rien à voir avec la justice, et tout à voir avec la répression politique.
Une Justice à Géométrie Variable
Cette affaire illustre parfaitement le fonctionnement d’un système judiciaire aux ordres. Quand le pouvoir décide qu’un intellectuel doit être enfermé, les juges trouvent les motifs juridiques pour le condamner. Quand la pression internationale devient trop forte et qu’il devient politiquement coûteux de maintenir cette détention, le même pouvoir ordonne la libération, et les juges s’inclinent à nouveau.
Combien d’Algériens, moins médiatisés que Boualem Sansal, croupissent dans les prisons pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression ? Combien de journalistes, de militants, de simples citoyens attendent un hypothétique appel téléphonique qui ne viendra jamais ?
Une Victoire Amère pour l’État de Droit
Oui, Boualem Sansal est libre, et c’est une excellente nouvelle. Oui, il pourra recevoir les soins médicaux dont il a besoin. Oui, cette libération est une victoire pour tous ceux qui se sont battus pour lui pendant un an.
Mais cette victoire a un goût amer. Elle nous rappelle que dans notre pays, la justice n’est qu’une façade, un décor de théâtre derrière lequel se cache l’arbitraire du pouvoir. Elle nous rappelle qu’en Algérie, votre sort ne dépend pas du droit, mais du bon vouloir présidentiel et des considérations diplomatiques du moment.
L’Hypocrisie Diplomatique Exposée
L’Allemagne a mené des discussions discrètes avec Alger, formulant une demande de grâce respectueuse des procédures, là où la France avait échoué pendant des mois. Ce contraste souligne un autre aspect troublant : la justice algérienne ne répond pas aux principes universels du droit, mais aux calculs politiques et aux rapports de force diplomatiques.
Un État qui possède une justice indépendante ne libère pas ses prisonniers en fonction des demandes étrangères. Il applique sa loi de manière égale pour tous, sans considération pour les pressions extérieures. Le fait que l’Algérie ait cédé à la demande allemande prouve, s’il en était besoin, que les décisions judiciaires ne sont que des variables d’ajustement dans les négociations internationales.
Sansal Libre, la Justice Algérienne Toujours Prisonnière
En célébrant la libération de Boualem Sansal, nous devons aussi nous interroger sur l’avenir de la justice en Algérie. Tant que les tribunaux resteront des instruments politiques, tant que les juges prononceront les verdicts que le pouvoir attend d’eux, aucun Algérien ne sera véritablement à l’abri.
L’affaire Sansal restera dans l’histoire comme le symbole d’une justice inexistante, remplacée par un système où les décisions judiciaires se prennent au gré des conversations téléphoniques entre chefs d’État. Une justice où votre liberté ne dépend pas de votre innocence, mais de votre notoriété internationale et de l’intérêt géopolitique que votre cas peut susciter.
Conclusion : Une Liberté à Défendre Collectivement
La libération de Boualem Sansal est une victoire pour la liberté d’expression et pour tous ceux qui ont lutté pour sa cause. Mais elle doit aussi servir d’avertissement et de catalyseur. Elle expose au grand jour la mascarade d’une justice algérienne qui n’en a que le nom.
Combien d’autres Sansal attendent-ils dans l’ombre, sans célébrité internationale pour porter leur voix, sans président étranger pour plaider leur cause ? C’est pour eux que nous devons continuer le combat. C’est pour eux que nous devons exiger une véritable indépendance judiciaire, un État de droit qui ne soit pas qu’une formule creuse.
Boualem Sansal est libre, réjouissons-nous. Mais n’oublions jamais que cette liberté n’a été obtenue que par un coup de téléphone, pas par la justice. Et tant que ce sera le cas, l’Algérie restera prisonnière de son propre système.
















